Une nouvelle vision de l’ostréiculture, Matthis LEFRANÇOIS

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Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023

On ne sort pas indemne d’une rencontre avec Matthis Lefrançois. Installé dans son mas à Mèze, sur l’étang de Thau, cet ostréiculteur de 26 ans se distingue en effet par une approche singulière de son métier. Ses pratiques, réfléchies et innovantes, captivent les chefs comme Carole Soubeiran, qui ne tarissent pas d’éloges à son sujet. Embarquez avec nous à la découverte d’une démarche où l’éthique et le respect de la nature sont au cœur du sujet.

Originaire de la région Rhône-Alpes, de l’Hermitage plus précisément, là où la vigne règne en maître, le jeune Matthis est un passionné du milieu marin et un adepte de la plongée sous-marine. “Je suis arrivé à Sète après le bac pour étudier la biologie marine à l’école maritime de Sète. Malheureusement j’ai été victime d’un accident de la route. Je ne pouvais plus plonger, j’ai eu le poumon perforé, les chevilles fracturées… il a fallu que je me réinvente. J’ai passé deux ans en stage chez Romain Dupuy à Bouzigues, c’est là que j’ai découvert le métier d’ostréiculteur et que j’ai tout appris”, explique Matthis.
Mais le jeune homme à peine âgé de vingt ans ne se sent pas encore prêt. Il faudra encore attendre trois ans avant qu’il ne décide de s’installer à son compte. “J’ai travaillé quelques années dans la restauration, en cuisine et en salle, et puis en 2020 j’ai eu l’opportunité de m’installer dans un mas ici à Mèze. Je me suis lancé dans l’aventure avec l’appui de Romain”. Se définissant lui-même comme un peu “punk”, Matthis est un ostréiculteur atypique qui travaille sans relâche pour construire un réseau de chefs de cuisine qui comprennent son travail.

Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023“Les premiers à m’avoir fait confiance, ce sont Julien Caligo et Nicolas Fontaine à Nîmes. Il y a eu Reflet d’Obione à Montpellier aussi. J’ai une très petite production qu’il faut que je valorise. Mon objectif a toujours été de travailler avec une belle restauration, pas forcément gastronomique, mais en tout cas des chefs sensibles à mon travail, capables de payer le prix juste, souligne-t-il. Je connaissais le travail de Carole, des tables qui sourcent beaucoup comme ça, on n’en a pas non plus des milliers dans la région” explique le jeune ostréiculteur de 26 ans. “Le travail de Matthis va dans le sens de notre démarche au restaurant. Il y a une vraie éthique derrière son travail. On l’a essayé, on l’a adopté” insiste Carole. Il faut dire que le jeune ostréiculteur se démarque en travaillant exclusivement l’huître sauvage, à une époque où l’industrie ostréicole est dominée par l’huître triploïde. Une huître génétiquement modifiée, développée par l’Ifremer dans les années 1980, principalement pour résoudre le problème de laitance en été. “Cette huître, stérile, croît deux fois plus vite que ses homologues, car l’énergie normalement dépensée pour la reproduction est utilisée pour la croissance. Mais ce n’est pas sans inconvénients. Elles sont produites artificiellement et passent les premiers mois, voire la première année, de leur vie dans des hangars, bourrées d’antibiotiques. Une fois introduites dans l’environnement, elles ne sont pas résistantes, les taux de mortalité sont stupéfiants. Pour récolter 100 000 huîtres, il faut en semer 300 000”, souligne-t-il. Sans parler des risques sur les souches sauvages. “Comme elles sont stériles, leur production à grande échelle pourrait finir par stériliser l’environnement, appauvrissant les souches sauvages existantes, s’inquiète-t-il. Avec le captage sauvage, il y a un brassage génétique naturel, qui renforce la résistance des huîtres et préserve la diversité biologique de l’écosystème”.
Conscient des défis posés par la lagune de Thau, un environnement quasi fermé caractérisé par une sédimentation élevée, Matthis a repensé sa production.

Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023

“À l’inverse de l’océan Atlantique, où les marées assurent un nettoyage naturel, la lagune nécessite une gestion soignée pour éviter une accumulation excessive de déchets qui pourraient provoquer un manque d’oxygène et augmenter la mortalité des huîtres lors des périodes chaudes, affirme-t-il. J’ai volontairement limité le nombre d’huîtres sur mes tables d’élevage à 60 000, au lieu de la moyenne usuelle de 120 000, pour réduire la mortalité des huîtres en été”. Une gestion prudente qui permet en
outre à la faune et à la microfaune de recoloniser les espaces sous les tables d’élevage. “On voit toute une faune et une microfaune qui n’existaient plus revenir. On a des oursins, des escargots… Mon travail de réflexion est permanent, je teste des choses”. Car si les huîtres se nourrissent principalement de phytoplancton, le sol joue un rôle déterminant sur ce dernier, impactant indirectement la santé et la qualité des huîtres. Pour préserver cette interaction essentielle, il évite également l’exondation de ses huîtres. Une pratique qui donne des huîtres d’apparence plus propre, mais qui élimine la faune qui contribue à l’alimentation des huîtres et constitue une barrière naturelle. “Je suis résolu à donner du sens à ce que je fais, à trouver l’équilibre entre productivité et respect du milieu, insiste-t-il. Les huîtres, c’est un peu comme le vin, c’est un produit de haute gastronomie, un marqueur de plaisir. C’est important de travailler avec des gens comme Carole parce que je sais que lorsqu’elle travaille mes huîtres, elle va indirectement transmettre mon travail aux personnes qui vont les déguster”. D’une certaine manière, Matthis Lefrançois brise des normes établies. Et comme tout bon pionnier, il ne fait pas qu’innover, il inspire.

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Texte Marie GINESTE – Photos Guilhem CANAL