On a cuisiné… Cécile DESSERLE avec Carole SOUBEIRAN

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Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023

Il y a quelques semaines, nous avons eu la chance de voir se tisser un dialogue singulier entre ces deux artistes. L’une, artiste plasticienne à la renommée grandissante, exalte la féminité à travers ses œuvres.
L’autre, autodidacte passionnée, transforme les produits de son terroir en créations culinaires d’une étonnante poésie. Pour Chefs d’Oc, elles ont conjointement cuisiné un rôti de baudroie en feuilles de figuier, relevé par un crémeux de courgette et une étonnante mousse de gardon. Une délicatesse gustative, alliant audace et tradition, art et terroir, à l’image de leur univers respectif. Embarquez pour un tête-à-tête hors du temps qui marie les arts de la toile et de l’assiette, et découvrez les secrets de leurs passions.

Cécile, Carole nous a dit que vous cuisiniez très bien…

Cécile Desserle : Je me débrouille. Je cuisine beaucoup à l’improvisation ! Les livres de recettes m’inspirent, mais c’est rare que je m’en serve pour cuisiner.

Carole Soubeiran : C’est un peu comme moi finalement! Je n’écris jamais rien en avance ! C’est très compliqué pour moi de réfléchir en amont à une recette. Parfois les premiers clients sont déjà là quand je me décide !

Cécile Desserle : Lorsque j’exécute une toile, je ne sais pas forcément ce que je vais faire non plus. Je laisse venir les choses…

On nous a parlé d’une soupe au pistou…

Cécile Desserle : C’est vrai que je vous en ai fait une, à toi et Benjamin… Il faut que je vous raconte une jolie anecdote. Plus jeune, je m’étais inscrite à une petite manifestation du côté d’Agde, pour exposer mon travail dans la rue les weekends pendant l’été en espérant vendre quelques toiles. Un soir, mon mari Bruno et moi nous retrouvons devant la fenêtre d’une maison, il m’accompagnait à chaque fois pour m’aider avec mon matériel. Il y avait une femme qui cuisinait une soupe au pistou, nous avons fini avec une assiette chacun, à manger avec eux sur une petite table dans la rue, c’était génial. C’est un super souvenir. La cuisine, c’est aussi ça.

Carole Soubeiran : La cuisine, c’est du partage, ce sont des moments en famille, cuisiner ensemble c’est important, ce sont des moments où l’on se retrouve, où l’on échange.

Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023

 Qu’est-ce que vous aimez dans la cuisine justement ?

Cécile Desserle : Déjà, il y a les produits. Entre les formes, les couleurs, les textures, c’est une belle promesse. Cuisiner, c’est l’éveil des sens aussi. Et c’est l’expérimentation.

À quoi ressemble-t-elle, la cuisine de Cécile Desserle ?

Cécile Desserle : Elle est très inspirée de celle de ma grand-mère. Elle faisait une cuisine très provençale, pleine de Sud, très ensoleillée. Et généreuse. À l’heure du goûter, tous les gamins du quartier venaient chez elle pour manger son pain perdu ou ses oreillettes. C’était de la vraie gourmandise.

 La cuisine, c’est quelque chose que vous avez déjà exploré dans votre œuvre…

Cécile Desserle : Oui. La cuisine, c’est le rapport à l’énergie de la vie. J’ai fait toute une série avec ma fille Manon mise en situation, avec un éclairage très puissant pour rappeler un peu ces peintures hollandaises, avec ces fonds très sombres et une mise en avant de la matière, des produits avec ce côté un petit peu nature morte. Je trouve qu’une femme qui cuisine a vraiment un côté maternel en plus. Un côté nourricier, une intention de s’occuper des autres, une envie de faire plaisir.

Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023

Vous-même, est-ce ce que vous ressentez lorsque vous cuisinez ?

Cécile Desserle : Quand tu cuisines, que tu reçois, tu donnes quelque chose, tu veux faire plaisir. Quand tu vas manger chez quelqu’un ou au restaurant, tu sais qu’en amont, la personne le matin s’est levée, est allée faire des courses, a pensé à toi. Tu sais que tu es attendu. Il y a tout un cérémonial autour de la table. Quand je reçois, j’aime aller faire mes courses, et tout disposer sur le plan de travail en rentrant. Je m’amuse à faire des petites natures mortes que j’envoie en photo aux copains pour susciter l’envie jusqu’au moment de leur venue.

Vous connaissez bien la cuisine de Carole. Y a-t-il un plat qui vous a marquée ?

Cécile Desserle : Un œuf dans une coquille avec plein d’herbes, c’était une explosion de goût ! C’était assez addictif !
“La cuisine de Carole raconte des histoires qui me rappellent mon enfance.” VERBATIM mis en avant.

Quel lien faites-vous entre la cuisine et l’art ?

Cécile Desserle : Déjà, il y a le côté laboratoire. Expérimentation. Il y a des techniques dans les deux cas, mais c’est aussi aller en terrain inconnu. Après, c’est le plaisir de faire. Et puis la transmission. Dans les deux cas, tu transmets quelque chose. Tu produis quelque chose qui va stimuler ou enthousiasmer quelqu’un.

Carole Soubeiran : Il y a une notion de ressenti, d’expression. De matière, de couleur aussi. C’est quelque chose de vivant.

Cécile Desserle : Et il y a de l’émotion, de l’improvisation.

Carole Soubeiran : C’est vrai. Par exemple moi, j’ai débuté la cuisine avec les charcuteries. C’était très formateur au départ mais c’est très répétitif. J’ai vraiment ressenti le besoin d’évoluer et de laisser davantage de place à l’émotion.

Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023

Qu’est-ce qui vous touche dans sa cuisine ?

Cécile Desserle : Elle est surprenante et il y a beaucoup de poésie, de sensibilité. Elle raconte des histoires qui me rappellent mon enfance. Des moments de cueillette dans les champs avec mon grand-père.

Carole Soubeiran : C’est vrai qu’il y a beaucoup d’herbes dans ma cuisine, que je ramasse ici en garrigue et en Camargue.

Cécile Desserle : Quand j’étais enfant, on allait ramasser des fleurs et des herbes. Et c’est quelque chose que j’essaie de transmettre à ma petite-fille Thaïs. Lorsque l’on se promène, je lui fais sentir, goûter. C’est une transmission importante. Cela me fait penser à la série, Les Gouttes de Dieu sur Canal+. L’histoire se passe dans des vignes, et l’on voit un vigneron goûter la terre. C’est juste une approche extraordinaire, c’est très sensible d’être si proche des matières.

Carole Soubeiran : La contemplation aussi est importante. Cette sorte de connexion à la nature. Toutes ces petites fleurs comestibles, ces odeurs… La semaine dernière, on est allé en garrigue justement et on a confectionné des bouquets pour mettre sur les tables, c’était magnifique…

Avez-vous déjà vécu des moments ou des expériences qui lient la cuisine et l’art ?

Cécile Desserle : Avec mes élèves j’ai eu l’occasion de leur faire réaliser des buffets artistiques, des faux banquets. C’était super intéressant de leur faire reproduire la gourmandise, de travailler la mise en scène. Mes parents étaient céramistes. Enfant, quand je m’ennuyais, je faisais des fausses assiettes. Je les faisais cuire, je les émaillais et après je les peignais pour que cela soit le plus réaliste.

Carole Soubeiran : À notre niveau, le travail des céramistes c’est quelque chose qui fait partie de notre art de la table. L’artisanat est très important pour nous. Nos cartes ont été faites par la Botte gardiane. Là, je suis entrée en contact avec une glaneuse qui est en Camargue. Je ne sais pas encore ce que je vais faire avec elle, j’ai mille idées à la minute (rires), mais tout cela fait partie de notre démarche

Cécile, un petit mot sur votre actualité ?

J’explore des choses nouvelles. Demain je vais réaliser une performance artistique dans le jardin de la galeriste Cécile Chiorino à Aigues-Mortes. Je vais me lancer dans quelque chose que je n’ai jamais fait auparavant, en peignant sur de l’Inox miroir. Je ne sais pas du tout quel sera le rendu. J’ai fait préparer une découpe spéciale en forme de feuillage pour cette création. Je voulais réaliser une œuvre qui se fonde dans le jardin, sans être perçue comme un simple objet.
L’Inox miroir va refléter les éléments autour et donner l’impression que le personnage jaillit de cet environnement. Je ne veux pas poser une statue, mais plutôt créer l’illusion que le personnage vit réellement dans le jardin. À côté de cela, j’ai une exposition qui a déjà commencé à Montréal. À la rentrée, j’en aurai une ponctuelle à Lyon. Mais depuis un certain temps, j’éprouve le désir d’aider de jeunes artistes qui souhaitent se faire une place sur le marché de l’art. J’aimerais leur fournir les outils, les ressources et les encouragements nécessaires pour les aider à trouver leur propre voie artistique et à apporter quelque chose de nouveau. Je réfléchis encore à la manière.

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Pour en savoir plus sur l’œuvre de Cécile DESSERLE :
www.ceciledesserle.com

Texte Marie GINESTE – Photos Guilhem CANAL