Domaine de la Garance Le petit trésor de Pézenas

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Il aurait pu devenir rugbyman de haut niveau. Mais la vie a fait de Pierre Quinonero un vigneron d’exception. À Caux, petit bourg à 5 kilomètres de Pézenas, l’homme a construit patiemment son Domaine de La Garance. Et malgré les embûches, il n’a jamais oublié le plus important : le plaisir, et la passion.

« Un jour, j’ai rencontré le vin. Cela a changé ma vie. » Pierre Quinonero, vigneron à Caux, a le cuir dur, mais la tendresse à fleur de peau. À 49 ans, cette force de la nature a tout connu : la lumière et les ténèbres. Mais a su faire de l’adversité son principal atout. Issu d’une famille de réfugiés espagnols, il a appris le fighting spirit avec le ballon ovale. « J’étais troisième ligne au club de Pézenas, en deuxième division. C’était un rêve de vivre du rugby. » Mais à la fin des années 80, il est contraint de se reconvertir au poste de talonneur. « En match, après ma première mêlée, j’avais les jambes tétanisées. On peut être fort dans sa tête, mais moins puissant physiquement. Je ne me voyais pas jouer à ce poste au haut niveau. » Au hasard d’une petite annonce, il part jouer dans un club réunionnais. Et si l’expérience tourne court, au milieu de l’océan Indien, il découvre le monde
viticole. « J’ai rencontré une personne qui commercialisait du vin. Avec lui, j’ai commencé à déguster de belles bouteilles. » Il tombe sous le charme des nectars de la Vallée du Rhône : Chateauneuf-du-Pape, Hermitage, Crozes-Hermitage… Une source d’inspiration éternelle.

CHERCHER SA RECETTE

De retour en métropole, Pierre Quinonero abandonne le ballon rond pour la viticulture. Une histoire de famille : son grand-père était vigneron coopérateur à Caux. L’homme a tout à apprendre. Il part faire les vendanges en Bourgogne. Le soir, au lieu de festoyer, il fait des heures sup’. « J’étais l’homme à tout faire. Cela m’a permis de découvrir le travail de la cave. » Le projet mûrit. De retour, les vignes du grand-père, à Caux, lui offrent une révélation. « Géologiquement, les sols ressemblaient beaucoup à ceux de Bourgogne. Je ne suis pas un expert, mais j’ai senti qu’il y avait du potentiel. »
Il achète une première cuve, lit beaucoup, et commence à « chercher une recette. Le vin, c’est très proche de la gastronomie. A priori, faire du vin, c’est très simple : du raisin qui fermente dans une cuve. En cuisine, c’est pareil : un bœuf bourguignon, cela semble facile. Mais pour le réussir, il faut faire des essais, trouver sa recette. »

LA QUALITÉ, UN GROS MOT ?

Sa première cuvée « officieuse » le conforte dans son parcours. « Par rapport à tout ce que j’avais pu goûter, je trouvais ça plutôt bon ! » Dans cette période charnière pour la région, lui vise déjà l’excellence. « J’ai voulu produire peu, bon, et qui se garde. Comme dans la Vallée du Rhône. »
Encore faut-il convaincre, au pays du vin de table. « La qualité, c’était alors un gros mot. Surtout pour les banques ! On a l’impression que si on n’a pas 60 hectares, et 6 générations derrière, cela ne marchera pas. Elles m’ont fermé leurs portes. » Pour se développer, il doit travailler. Des petits jobs, notamment dans le milieu agricole. « Je faisais même parfois les vendanges pour les autres ! » Un comble ! « J’en veux aux banques, parce qu’en vérité, rien n’a changé. Quand on est sérieux, bosseur, qu’on a un projet, on va les voir, elles disent non ! Mais on a toujours besoin d’elles. » Mais le projet avance. Il choisit un nom : La Garance, une plante rouge invasive contre laquelle il a dû se battre, à coups de pelle et pioche, pour sauver une parcelle. « C’est un clin d’œil, et ça sonnait bien ! »

DANS LE SILLON DE DAUMAS-GASSAC

En 1994, Pierre Quinonero atteint 10 hectares, grâce à une stratégie redoutable. « Mon idée, c’était de racheter des vieilles vignes, dont personne ne voulait, à moindre coût. Je récupérais un vrai patrimoine. Les vieilles vignes ont des racines profondes. Elles bénéficient donc de la richesse géologique du terroir. » Un an plus tard, le viticulteur propose ses premières bouteilles « officielles », deux rouges et un blanc, qu’il vend sur place. Et se lance, avec des amis, dans la construction, pierre après pierre, d’une cave. Il lui faudra quatre ans. Le travail paye : les importateurs frappent à sa porte. « À ce moment-là, je ne pouvais proposer que du Vin de pays. Ne pas être en AOC, c’est toujours un handicap. Mais cela s’est transformé en opportunité. Parmi les Vins de pays du Languedoc, il y avait Daumas-Gassac. Du coup, les gens ont eu tendance à nous rapprocher. Sur les cartes de restaurant, il y avait Daumas-Gassac, le haut de gamme, et La Garance, plus accessible. » Ses bouteilles vont s’envoler vers l’Angleterre, puis le Japon, la Suisse, l’Allemagne…

LA SOLIDARITÉ VIGNERONNE

Mais alors qu’il prend son envol, il est victime d’un terrible accident. « J’ai frôlé la mort. Ce fut un coup de raquette. J’ai un peu loupé la vague des vins du Languedoc… » Néanmoins, le Domaine sera sauvé par un formidable élan de solidarité du monde viticole. « Des gens que je ne connaissais pas venaient m’aider pour les vendanges. Pendant mon absence, certains s’occupaient de mes vignes. Je ne l’oublierai jamais. » Il doit réduire l’exploitation. Mais là encore, il va grandir dans l’épreuve. « Cela a changé ma vision de la vie. J’ai décidé de devenir intransigeant. De ne plus faire de concessions sur mon travail. » En découlent deux décisions majeures : chaque année, ses millésimes devront être meilleurs que les précédents. Et il s’autorise une cuvée plus accessible, Clara (du nom de sa première fille). « Beaucoup de fruit, quelque chose de léger et d’agréable à boire. Mais sans sacrifier la qualité. » Un autre monde, à côté de ses hauts de gamme : la complexité et la fraîcheur des Armières (rouge), ou le velours profond des Claviers (blancs). « J’ai appris à travailler deux styles à la fois ! »

LE VIN DES ÉTOILES

Au milieu des années 2000, c’est l’avènement. La presse spécialisée se passionne pour ce personnage du vin. Surtout, La Garance entre dans les grands restaurants. Comme l’Astrance, fameux 3 étoiles parisien. « Mes vins se sont retrouvés chez beaucoup d’étoilés. C’était grâce à des cavistes, des agents. » La raison ? « Je fais de vrais vins de cuisinier, sourit-il. Ils se révèlent lors d’un repas. Un ami vigneron m’a dit une chose importante : si tu entres dans un restaurant par le chef, tu y resteras toute ta vie ! » Justement, Paul Quinonero va créer des liens avec pas mal de chefs : Philippe Cagnoli (Le Pré Saint-Jean, Pézenas), Alain Dutournier (Le Carré des Feuillants, à Paris)… Et surtout son grand ami Paul Courtaux, alors aux fourneaux de l’Entre Pots, à Pézenas. « La cuisine, c’est une vraie confrérie. Paul m’a ouvert des portes, comme celles de Gilles Goujon. » Mais il refuse de tomber dans le piège de la célébrité. « Je ne suis pas très mondain, je ne sors pas beaucoup. Si tu te laisses prendre par la lumière, tu te détournes de ton travail, et ton vin sera de moins en moins bon. J’aime avoir les mains dans la terre toute la journée. J’ai la chance d’être bien distribué par des professionnels. Chacun sa compétence. »

DES PROJETS FOUS

Aujourd’hui, Pierre Quinonero exploite toujours ses 6 hectares de vignes. « Cela suffit pour un homme seul. Je ne me vois pas repartir dans un élan de croissance ! » À Caux, 2 hectares sont dédiés aux cuvées haut de gamme. « On est dans une cuvette basaltique. Il y a toutes ces forêts, ces vallons. C’est une petite Toscane ! » Et s’il ne le met pas en avant, sa production est bio, et même en biodynamie. « Il n’y a jamais eu une goutte de produit chimique sur mes terres », tranche-t-il. Même ses cuves sont souvent en béton, pour éviter le plastique ! Sa production (23.000 bouteilles) ne peine pas à être vendue. Il pourrait s’en contenter. Mais l’homme porte quelques « projets de fou » : importer un cépage espagnol, pour lancer une nouvelle cuvée. Installer un pressoir à olives, pour développer la production de ses 500 oliviers. En 2023, il commercialisera une bouteille d’exception : la cuvée Coline (sa seconde fille). Millésimée 2003, elle aura été élevée en barriques pendant 5 ans, puis conservée en bouteilles 15 années de plus ! Un symbole de la passion d’un homme. « Pour moi, le vin fait rêver. J’ai encore du mal à jeter une bouteille vide, car elle représente un souvenir. C’est un peu magique. Le vin c’est une émotion. »

GWENAËL CADORET
 
Domaine de La Garance – Chemin de Sallèles à Caux
Infos : 06 30 42 97 46