Le chef Romain Salamone

0
770

 

SENSATION – LA START-UP CULINAIRE

Depuis 9 ans, Sensation, à Lattes, épate les gastronomes. Aux fourneaux, Romain Salamone propose une cuisine osée et créative. Un jeune chef qui manage son équipe avec un style bien à lui : entre franche camaraderie et exigence extrême. Innovation, esprit cool, mais sans concession : plongée dans un restaurant imitant les start-up américaines…
 

9h00 BONHEUR EN CUISINE

Le soleil joue à cache-cache sur Port-Ariane. Dans le petit port de Lattes aux allures de Marina californienne, le temps semble tourner au ralenti. Ce jeudi de novembre, le froid du matin pique les oreilles. Heureusement, un cocon chaud et lumineux ouvre ses portes. « Bonjour. Bienvenue ! » Romain Salamone, le jeune chef (32 ans), est tout sourire. Depuis près d’une heure, sa petite équipe s’active. Ce matin, ils ont été livrés en poissons et légumes. Du poisson ultra frais : il est déposé encore vivant par Victor Pascal, pêcheur basé à Pérols. « Il nous amène de belles pièces, selon ses prises : du loup, du muge, des poissons de roche… » Les légumes, eux, arrivent du Jardin de Costebelle, à Villeneuve-lès-Maguelone. « On travaille sur leurs butternuts et leurs patates douces, en ce moment. » La matinée débute à peine, mais le travail semble déjà bien avancé. « Comme on transforme tout ici, on prend de l’avance. Hier, on a taillé les butternuts. »
 

 

9h10 TUTOIEMENT DE RIGUEUR

« On se tutoie. Ici, c’est la règle ! » Chez Romain Salamone, on ne fait pas de manières. Et personne n’emploie le mot « Chef ». Comme dans les startups ! « Je ne supporterais pas de me faire appeler Chef, promet-il. Cela met une distance énorme. Ce n’est pas pour être cool, c’est parce qu’on est une équipe. On partage beaucoup de choses. L’important, c’est de savoir ce qu’on a à faire, de se respecter, respecter le produit, et le client. » Vivien, le pâtissier, sourit : « Je n’ai jamais connu une ambiance comme cela en cuisine. Un chef qui ne veut pas qu’on l’appelle chef… Cela change ! Par contre, il est très exigeant : c’est un vrai chef ! »
 

 

9h15 BISTROT ET GASTRO, MÊME CHEF

Depuis deux ans, Romain a ouvert un bistrot dans le local mitoyen. Et l’organisation des lieux fait que la cuisine du Sensation prépare également les plats du bistrot. Le cuisinier du bistrot, en charge des entrées et desserts, c’est Nicolas, 29 ans. Le matin, il vient donner un coup de main à l’équipe. À cet instant, Romain et Nicolas pèlent les pommes de terre. « Les éplucher, ce n’est pas trop dérangeant, quand elles sont grosses », sourient-ils. Elles seront découpées en quartiers, puis cuites au four, avec sel, farine, persil, oignons et huile d’olive. « On fait des potatoes pour le bistrot. La farine donne une petite croûte croustillante. »
 

 

9h20 VIVIEN, LE PÂTISSIER TRÈS MOTIVÉ

Vivien observe un cahier de recettes maison, rempli au stylo. À tout juste 19 ans, il a été recruté par le Sensation, après y avoir effectué un apprentissage d’un an. « Ce qui m’a donné envie de travailler ici, c’est que les desserts sont dressés sur table, devant les clients. C’est assez exceptionnel de pouvoir vivre cela. » Le jeune homme assure prendre « beaucoup de plaisir. Avant de venir ici, j’ai fait des recherches. Romain a travaillé partout dans le monde, avec les meilleurs. C’est un super formateur. Il nous pousse vers l’excellence. » Romain regarde son pâtissier avec bienveillance. « Comme il n’avait pas le permis, on n’était pas sûr de le prendre. Il vit à Montpellier, et pendant un an, il est venu en vélo, quel que soit le temps. Il a prouvé sa motivation ! » Le chef lui fait totalement confiance pour les desserts, mises en bouche et une partie des entrées. « Cela fait un an, je sais ce dont il est capable. »
 

 

9h25 LE LAIT DÉBORDE !

Une casserole de crème déborde et fait sauter le courant ! Mais Romain garde le sourire. « C’est le genre de mâtinée qui commence bien ! Ça met en forme, ça chauffe un peu ! » La plaque est irrécupérable. Le chef préfère en rire. « C’était notre dernière plaque à induction. On les sollicite tellement, on les a toutes explosées ! Là, on va perdre du temps. Mais tout allait trop bien ce matin, c’était louche… » Après chaque été, le chef doit remplacer plus du tiers du matériel de cuisson. « À cause du règlement de copropriété, on doit utiliser l’induction. Comme on a peu de place, on ajoute des plaques. » N’est-ce pas trop contraignant ? « En étant pâtissier, j’ai toujours travaillé avec. Je trouve cela même plus précis. »
 

 

9h30 LE THERMOMIX, SECRET DES CHEFS

Le Thermomix a une place de choix. « On en a deux, et ils sont indispensables, explique le chef. C’est de la bombe cette machine ! Cela nous permet d’obtenir des coulis, crèmes et mousses avec une texture intéressante et homogène. Cela mixe au top, sans laisser de grumeaux. » Ce matin, il est utilisé pour une crème de persil et un coulis de betterave, qui vont accompagner le poisson. « C’est pour la couleur, mais surtout pour le goût. La betterave, avec son côté terreux, s’allie bien avec la saveur iodée du poisson. »
 

 

9h35 LA NOUVELLE CARTE ARRIVE

Une crème de citron mijote doucement. Vivien explique que c’est pour un classique de la maison, de retour sur la carte : la tarte sur tourne-disque ! « La tarte tourne devant le client, pendant que la meringue est ajoutée. Cela crée une forme de spirale. Les gens adorent ! » Créer la nouvelle carte fait l’objet de réunions de toute l’équipe, serveurs compris. « On est tous ensemble, chacun amène ses idées, on en discute, et on voit ce que l’on peut faire », promet le chef. De quoi forger un peu plus l’esprit d’équipe.
 

 

9h40 ROMAIN, LE MAÎTRE DU TEMPS

En plus de la préparation et des mises en place du midi, l’équipe travaille également pour le service du soir. « Je suis quelqu’un qui fait très attention au temps. Ma cuisine est réglée comme une horloge ! On travaille beaucoup comme en pâtisserie, en préparant des produits la veille. Cela nous évite de venir à 6h du matin ! » Malgré l’ambiance potache, l’organisation est donc « quasi-militaire. Et ce matin, avec le problème de plaque, on avance moins vite. Je n’aime pas ça. » Or, le restaurant et le bistrot pourraient être complets. Soit 50 couverts par service.
 

9h50 LUDOVIC ARRIVE

Ludovic, l’homme de confiance, arrive. « Ludo, c’est ma deuxième femme, sourit Romain. C’est un vrai bras droit. On a travaillé 10 ans ensemble au Jardin des Sens. Il nous a rejoints depuis deux ans, pour l’ouverture du bistrot. » Ce matin, Ludovic apporte à Romain des plantes aromatiques. Notamment des « huîtres végétales ». Des feuilles au goût d’huitre ! « Elles amènent de la fraîcheur et une saveur intense. C’est un produit comme je les aime : beau et surprenant. » Elles accompagneront la lotte et un risotto à l’encre de seiche.
 

 

10h00 ACCRO AU FILM ALIMENTAIRE !

Autour des viandes, des poissons, sur le plan de travail… Au Sensation, le film alimentaire est partout ! « On l’utilise énormément, avoue Romain. Cela permet de réaliser des médaillons et des tranches bien nettes. Et on protège la table : comme on est en cuisine ouverte, il ne faut pas qu’il y ait de traces ou d’odeurs. » Au total, 3 énormes rouleaux sont consommés par semaine. « On filme tout, on date tout. C’est un gros budget, mais on est plus tranquille ! » Laura, la serveuse, participe au filmage des produits. Midi et soir, elle sert à la fois au bistrot et au gastronomique, en duo avec Ludovic. « Ici, tout le monde fait un peu tout ! » Ludovic confirme. « C’est plus qu’une équipe, c’est une famille. On se soutient, on se chambre, on s’encourage. »
 

 

10h15 LE PACOJET, LA MACHINE À GLACES

Un bruit d’aspirateur sort de la réserve. « C’est le Pacojet », montre Vivien. Un outil magique pour les glaces. Ce matin, il doit préparer la glace moutarde qui accompagnera les tartines de magret. « On fait congeler la préparation, puis on la passe au Pacojet, détaille Romain. Cela va donner un produit onctueux et aéré. » Les potatoes sortent du four. Elles sont presque prêtes : une seconde cuisson sera réalisée à midi. Aujourd’hui, 4 kilos de potatoes seront servies dans les assiettes du bistrot.
 

10h20 RICHARD, PAPA PLONGEUR

Dans la petite remise, Richard fait la plonge. C’est le père de Romain. « Je viens lui donner un coup de main le matin. » Cet ancien chanteur de variétés ne cache pas sa « fierté » au sujet de la réussite de son fils. « Romain réalise de belles choses. Il a du talent en cuisine. Il doit tenir cela de sa mère ! » Un père qui connaît bien son fiston. « C’est quelqu’un de bien, Romain. Par contre, il a son caractère. Quand quelqu’un fait une bêtise, il hurle, et tout le monde se cache dans un coin ! »
 

 

10h30 LA PATRONNE ARRIVE

Angélique, l’épouse de Romain, travaille désormais à mi-temps, suite à la naissance de la petite Lana. Elle est chargée de gérer les cuissons sur la plancha. « Ici, on est multifonctions, s’amuse-t-elle. À la base, j’étais sommelière et en salle. » Il faut aussi être « un peu schizophrène », glisse Romain : dans la même cuisine, préparer des plats abordables pour le bistrot, et les menus d’exception du gastronomique.
 

 

10h50 LE MONEY TIME !

Romain a l’œil partout, remarque les petits défauts, vérifie les cuissons… Mais pour autant, on l’entend très peu. « Tout le monde sait ce qu’il a à faire. Quand on travaille en petite équipe, chacun doit être assez autonome. » Il coche au fur et à mesure une petite liste. Les pommes de terre peinent à cuire. « Tout doit être prêt dans une heure. La cuisine, le timing, le service, j’aime que ce soit carré. Avant, je disais tout le temps prop’net. » Un petit côté militaire, le Romain ? « J’assume totalement. En cuisine, on fait du bon travail quand c’est carré ! » À 11h10, c’est le repas du personnel, au bistrot. Ludovic a préparé des cuisses de poulet et des pommes dauphines. On discute, ça rigole. Un vrai repas de famille.
 

 

11h35 C’EST REPARTI

Romain aligne méticuleusement de petits bols dans un coin. Ce sont ses assaisonnements : épices, tomatesoignons, pain séché au persil, maïs grillé, olives, chocolat… « J’ai des tocs : tout doit être à sa place ! » Enfin cuites, les pommes de terre sont passées en purée. « Il manque trop de casseroles ! Vivien, tu peux aller voir au bistrot ? » Le pâtissier fonce. Dans les derniers instants, le chef plaisante moins. On sent que tout se joue en quelques minutes.
 

11h50 LES DERNIÈRES TOUCHES

D’ici quelques minutes, tout devra être propre et rangé. « Il faut faire place propre très vite. Sinon, cela va commencer à me tendre, prévient le chef. Entre 12h30 et 13h30, on doit être à fond. Il n’y a pas de place pour l’improvisation. » Ludovic dispose les gressins sur les tables. « Il est parti où Vivien ? » Ludovic indique qu’il est en réserve. « Dis-lui de préparer plus de soupe de poisson. Je sens qu’elle va bien partir à midi… » Il a raison : ce sera l’entrée star du midi, au bistrot.
 

 

12h20 TOP DÉPART

Les premiers clients sont là. On entend les poissons crépiter sur une drôle de Plancha. « Une Teppanyaki, précise le chef. C’est très répandu en Asie. Elle ne donne pas ce côté noir, trop grillé, aux produits. Tout est cuit délicatement, et cela amène du croustillant au poisson. » En cuisine, tout semble chronométré. L’orchestre a commencé son concerto. Romain aligne 14 assiettes pour le bistrot. D’une main sûre, il dépose chaque ingrédient. La dose ne varie pas d’un gramme.
« Tout est quantifié précisément dans nos gestes. C’est ça, être carré ! » Le chef nous fait signe : il est temps d’aller manger. Le menu Sensation sera éblouissant…
 

13h30 ON ENCHAÎNE DÉJÀ SUR LE SOIR

Les derniers couverts ne sont pas encore partis que le chef passe déjà au repas du soir, et dépiaute les noix de Saint-Jacques. « Il ne faut pas perdre le rythme. Comme ça, après, on pourra prendre trois vraies heures de pause ! » À 15h, tout est nettoyé et rangé en cuisine. Vivien et Romain partent en pause, pendant que le reste de l’équipe s’occupe de la salle. « On reprend à 18h30. » L’après-midi, Romain peut voir sa fille, et faire une sieste. Mais avant, direction la salle de sport, avec Ludovic ! « Ça nous pulse. Cela permet de se garder en forme. »
 

 

18h15 RETOUR AUX FOURNEAUX

Alors que la nuit est tombée, le chef réinstalle son poste de travail. L’occasion de parler un peu de son parcours. « La cuisine, j’y suis tombé par punition, parce que j’avais des mauvaises notes. Mon père m’envoyait bosser chez un ami à lui, boulanger à Grenoble. » Sauf qu’il enchaîne par un apprentissage à Grenoble, puis au Jardin des Sens. « L’équipe, c’était des costauds. Ils m’ont formé à la dure. » Ce surdoué accède en quelques années au poste de chef exécutif en pâtisserie, formant dans le monde entier les chefs du groupe Pourcel. Puis sa rencontre avec Angélique l’emmène à Lattes. L’occasion de basculer en cuisine. « C’était un peu folklorique : on a commencé à deux, en bricolant la salle, faisant tout nous-mêmes. Les assiettes, c’était un peu foufou. Mais grâce à Angélique, j’ai simplifié ma cuisine. » Les critiques sont enthousiastes, notamment le Gault&Millau qui le nomme « COUP DE COEUR » 2013. L’un des arguments du succès : les desserts sur plexiglas. « Un soir, Angélique m’a chambré sur ma créativité. J’ai pris des produits, et j’ai dressé le dessert sur la nappe. On s’est dit que le plexi c’était plus simple ! Cela prend du temps, mais les gens adorent, et cela permet un contact direct entre la cuisine et le client. »
 

18h30 TRENTE MINUTES POUR TOUT FAIRE !

Tout en découpant le fromage, Vivien surveille le cacao qui fond pour le dessert du soir. L’odeur est enivrante… « On a une demi-heure pour travailler, commente Romain. Après, on mange, puis on finalise tout. » Sauf que le soir, il faut faire sans Richard, à la plonge, ni Angélique à la plancha. « On y arrive parce qu’on a anticipé. C’est un peu la carotte : se donner le matin, pour être plus cool le soir. » L’équipe se permet même un repas du perso’ devant la télé ! Pour le moment, les restaurants ne sont pas complets. Mais le chef est en forme « les amis, ce soir, je suis chaud » !
 

 

20h00 ON FAIT TOUT AU SENSATION !

Romain répond au téléphone pour noter les réservations. « Ça y est, on est complet de chez complet », annonce- il. Vivien, lui, accueille les clients. Et le duo lance les premières assiettes. La musique s’emballe. Le chef aussi, un peu, plaisantant avec Ludovic sur la playlist. Les casseroles se superposent. En salle, Ludovic et Laura multiplient les allers-retours. Difficile d’imaginer qu’ils ne sont que deux en cuisine ! « Je crois que je suis un peu hyperactif », rigole le chef !
 

22h15 LE CHEF À LA PLONGE !

« C’est fini, tout est envoyé ! » Les cuisiniers respirent. Mais Romain bascule déjà… à la plonge ! « Je m’y mets les soirs de gros service, quand tout le monde est à fond. Ça fait du bien, tu gardes les pieds sur terre. Et cela montre à l’équipe qu’on est tous dans le même bateau. » Pendant ce temps, Vivien dresse les desserts devant les clients. « Franchement, un chef qui passe à la plonge… c’est pas banal ! », s’étonne le jeune pâtissier.
 

 

23h30 APRÈS L’EFFORT, LE RÉCONFORT

Après avoir débriefé avec Ludovic, Romain rejoint ses amis au bistrot. Il sort des jeux : ping-pong, mini-basket et mini-billard. Toute l’équipe le rejoindra, pour de longues heures. « L’esprit start-up, c’est carrément ça, confirme Romain. On essaye de conserver une bonne ambiance, parce qu’il y a une telle pression. Il faut que l’on prenne du plaisir. » Et le chef est survolté : une soirée « Olympiades » s’annonce le lendemain. En fait, Romain Salamone est resté un grand enfant.
 

 
GWENAËL CADORET