La beauté en partage, 15 ans d’acquisitions au Musée Fabre 

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Vous rêviez de devenir mécène d’une œuvre ? C’est désormais possible grâce à la souscription publique lancée au Musée Fabre pour l’acquisition de l’une des œuvres de Yan Pei-Ming, L’Impossible Rencontre. En exclusivité, Michel Hilaire, conservateur et directeur du Musée Fabre, nous en dit plus sur cette nouvelle opportunité et nous dévoile les contours de la nouvelle exposition consacrée à son ambitieuse politique d’enrichissement de ses collections menée depuis plus de quinze ans et ses différents modes d’acquisition.

 

Chefs d’Oc : Le Musée Fabre est une grande institution avec une politique d’acquisition très dynamique. Quels en sont les contours ?

Michel Hilaire : C’est une politique qui a pris naissance déjà en amont du projet de rénovation du Musée qui a eu lieu entre 2003 et 2007. Un chantier absolument colossal qui a métamorphosé le musée par rapport à son ancienne configuration. Il y avait déjà eu quelques gros achats notamment de Soulages à la fin des années 90, des tableaux de Frédéric Bazille au début des années 2000 et plusieurs pièces d’artistes contemporains comme Claude Viallat par exemple. Toutes ces œuvres rentraient dans les collections du Musée mais la rénovation de 2007 a permis de donner un coup de fouet à cette politique d’achat en créant, dès 2008, une fondation de mécènes. 

Le mécénat a donc une très grande importance…

Oui à travers cette fondation qui est dédiée au musée, avec une trentaine de membres entrepreneurs de la région qui aident à enrichir le Musée Fabre. Cela vient en plus des crédits de la Métropole qui finance les achats du Musée Fabre avec l’aide des Amis du Musée Fabre, de la Fondation d’Entreprise du Musée Fabre. Et puis nous avons aussi des mécènes occasionnels qui se déterminent sur un projet particulier. Mais nous bénéficions de plus de mécènes particuliers, des collectionneurs, des artistes qui offrent des œuvres car il y a également des dons.

Tous ces modes d’enrichissement des collections sont finalement très divers…

Oui. Et c’est en partie pour cela que pendant le confinement j’ai eu l’idée de réaliser unegrande exposition qui montrerait sur quatre siècles, du XVIIe à nos jours, dans dix salles thématiques et chronologiques, la diversité de cet enrichissement. C’est une manière pédagogique non seulement de montrer l’enrichissement sous toutes ces facettes, le métier de conservateur qu’il s’agisse de sculpture, de peinture, de dessins, d’arts décoratifs etc. et de toutes les époques ; des œuvres contemporaines mais aussi des œuvres très classiques viendront enrichir les collections du musée.

C’est une exposition transversale…

Oui, dans sa diversité. Mais elle aura en outre pour but d’expliquer de façon assez pédagogique aux visiteurs, qui l’ignorent souvent, la manière dont ces œuvres sont acquises et quelles sont les procédures. Comment on monte un dossier, comment on préempte une acquisition en vente publique etc.

Concrètement comment cela va-t-il être expliqué aux visiteurs ?

Il y aura des explications à côté de l’œuvre qui éclaireront sur son historique et son mode d’entrée dans le musée. Nous avons également réalisé un livret que nous allons distribuer gratuitement qui expliquera chaque « cas ». L’un des objets principaux de cette exposition est vraiment de mettre en lumière la manière dont un musée s’enrichit. Nous avons une profonde volonté de montrer l’envers du décor, les coulisses du fonctionnement d’un musée.

En parallèle de cette nouvelle exposition, vous lancez également une souscription publique…

Nous proposons en effet au public de devenir mécène du musée en faisant un don pour participer à l’acquisition d’une œuvre de l’artiste chinois Yan Pei-Ming, L’Impossible Rencontre.

Mais dans quel but ?

Déjà, c’est une forme d’appropriation. Participer à l’acquisition de cette œuvre, c’est devenir acteur de l’enrichissement du patrimoine de demain. Et cela rejoint l’objectif de la nouvelle exposition qui est d’expliquer et de faire comprendre les différents modes d’acquisition du musée.

Pourquoi cette œuvre ?

Parce que d’une certaine manière, elle illustre la relation entre l’artiste et le mécène. Elle a été réalisée en 2019, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Courbet. C’est un triptyque qui s’appuie sur des photographies de l’artiste et de son mécène Alfred Bruyas, extraites de la documentation du Musée Fabre. Au cœur de l’ensemble des trois panneaux, le peintre a intégré son autoportrait, affirmant sa position d’artiste, dont il souligne la solitude contemporaine.

Et en pratique, comment cela va-t-il fonctionner ?

Nous avons créé une plateforme dédiée sur laquelle il est possible de se rendre en scannant un QR code. Le don sera déductible à hauteur de 66 % de son montant, dans la limite annuelle de 20 % du revenu imposable. Le nom du donateur sera associé à tous les supports du musée et de nombreuses contreparties seront proposées comme des billets, des abonnements, des visites menées par la conservatrice en charge des collections modernes et contemporaines. Tout dépendra du montant du don.

Comment le Musée Fabre se positionne-t-il à l’échelle nationale ?

Nous sommes en dehors de Paris, parmi l’un des premiers ou le premier en termes de dynamisme d’enrichissement des collections, avec Lyon peut-être qui a une politique un peu similaire bien que différente. J’ai préféré développer les modes d’acquisitions pour pouvoir acheter de façon plus fréquente et plus diversifiée. Je préfère le foisonnement d’où, encore une fois, l’intérêt de cette exposition.

Combien d’œuvres cette exposition va-t-elle représenter ?

C’est presque une centaine d’œuvres. On ne pouvait pas tout mettre, nous avons choisi des focus. Il ne s’agit pas d’une exposition qui présenterait toutes nos acquisitions depuis quinze ans. Au contraire, elle structure d’abord des salles thématiques à travers le temps. Et elle explique aussi ces modes d’entrées. On ne pouvait pas miser sur l’exhaustivité. 

Cette exposition temporaire vient en réalité s’imbriquer aux expositions permanentes…

Elle fait écho à l’exposition permanente mais avec sa propre autonomie et ses propres objectifs.

Cela va donner quelque chose de particulièrement vivant…

Oui, cela montre le musée dans toute sa diversité, dans son renouvellement, dans sa jeunesse. Un musée qui achète c’est un musée dynamique, qui modifie le regard sur les collections. 

Les nouvelles acquisitions font bouger les collections, elles apportent un nouvel éclairage sur les œuvres déjà présentes. Cela renouvelle le regard des visiteurs et dynamise la médiation culturelle. Cela va permettre en effet de réinventer un peu l’approche des visites guidées, les ateliers pour les enfants, les visites en famille. L’objectif est également d’attirer un nouveau public, plus jeune, les trentenaires qui ne viennent peut-être pas encore assez, leur dire qu’il y a des œuvres nouvelles qui peuvent leur parler.

Cela vous demande d’être présent sur le marché de l’art, de tisser des liens avec les collectionneurs, les artistes et les galeries…

C’est en effet mon rôle en tant que directeur et conservateur. Chaque pièce qui rentre doit être légitime. Elle doit soit venir compléter une lacune, soit renforcer ce qui existe en restant fidèle à l’esprit du Musée. À chaque fois que l’on guette une œuvre, on se pose la question de savoir comment elle s’insère dans nos collections existantes.

L’exposition sera également animée de conférences en parallèle…

Oui il y en aura et nous organiserons même des rencontres avec des artistes, des collectionneurs et des mécènes qui viendront dialoguer avec nous pour expliquer leur volonté d’enrichir le Musée. Tous les points de vue seront abordés.