On a cuisiné… François FONTÈS

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« Il y a des plats qui se construisent comme les architectures ».

François Fontès, architecte réputé de Montpellier, est aussi un grand épicurien. Passionné de cuisine, l’oncle de Charles Fontès s’intéresse de près aux travaux de son neveu et des autres chefs montpelliérains. Et s’il porte un regard exigeant et critique sur l’évolution de la gastronomie, il défend avant tout l’essentiel : la mise en valeur du produit.

 

Making of : Vendredi 12 mai 2016, rendez-vous à 15 heures au siège du groupe Hugar. Après un interminable appel, François Fontès nous reçoit avec un grand sourire, visiblement intéressé par le sujet. Même s’il ne l’avoue pas, on sent chez lui une tentation de mener, un jour, un restaurant…

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François Fontès, il paraît que vous êtes intarissable sur la gastronomie…

Je suis intarissable sur les sujets qui me font plaisir et qui ont du sens. La gastronomie, c’est l’émotion immédiate, le plaisir. Elle fait partie de ces étoiles que l’on essaye de cueillir. J’ai besoin d’avoir ces moments de tendresse et d’émotion que la cuisine peut conférer. J’essaye de ne pas céder à cette « trépidance » que la société de consommation veut nous imposer !

Vous êtes l’oncle de Charles Fontès, chef de la Réserve Rimbaud. Êtes-vous proches ?

On est très proches, même. Je vais le voir régulièrement. De temps en temps, on parle de sa cuisine. Il me fait goûter les plats, je lui donne mon sentiment. Il faut être clair, je ne suis pas toujours d’accord avec sa cuisine. Il y a des spécificités de goûts qui lui appartiennent. Après, il m’explique les contraintes, pourquoi il peut mettre en œuvre, ou non, certaines idées. Cela semble facile de préparer un plat, comme ça. Mais quand il faut le servir régulièrement, ce n’est plus le même débat !

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Fréquentez-vous les grands restaurants de Montpellier ?

J’ai toujours suivi les établissements réputés. J’ai beaucoup aimé le Jardin des Sens. Même si je trouvais que le cadre n’était pas comme je l’aurais souhaité. Je m’intéresse aussi à la Maison de la Lozère, bien sûr, dont j’ai été l’architecte, et bien d’autres. Des lieux pas forcément étoilés, qui travaillent sur les saveurs. Quand on va aux Templiers, à Aigues-Mortes, on a un vrai plaisir ! C’est une cuisine simple, basée sur de vrais produits, et des vraies saveurs.

Dans la simplicité, on retrouve l’identité du produit. Je suis pour une cuisine « contextuelle ». Si je suis en Méditerranée, j’ai envie de manger de la cuisine méditerranéenne. Après, les chefs peuvent la décliner, la réinventer. Mais je n’aime pas les choses qui s’alambiquent. Trop d’effets tuent l’effet. C’est valable dans tous les domaines.

Que pensez-vous du travail des chefs d’Oc ?

J’ai été touché par des atmosphères culinaires, des atmosphères de saveurs. J’ai pris beaucoup de plaisir dans tous ces grands restaurants. Ils ne trichent pas. Leur cuisine est toujours pleine d’étonnement. Je n’aime pas les cuisines génériques. À part pour les grands plats traditionnels français, que j’adore. Quand je suis en déplacement à l’étranger, j’en ai marre de manger toujours la même chose… Toujours les mêmes plats en sauce, agrémentés de décorations qui n’ont pas lieu d’être. Il y a trop de sophistication. La sophistication, dans la cuisine, ce n’est pas le cœur du sujet. L’important, c’est la révélation du produit, des saveurs. Des assemblages qui permettent de modifier notre connaissance d’un produit.

Comment jugez-vous le niveau la gastronomie montpelliéraine ?

(Il prend le temps de la réflexion). Sincèrement ? Je trouve qu’on ne se base pas assez sur l’identité. Il y a des plats traditionnels qui pourraient être proposés, revisités. Prenons la bouillabaisse. J’ai toujours envie d’en manger, c’est un de mes plats traditionnels préférés. J’ai du mal à en trouver. Il me semblerait très important de remettre ces choses basiques sur la scène culinaire. Car cela manque… Comme disait Valéry, l’esprit de la modernité, c’est souvent l’âme du passé. S’inspirer des saveurs qui ont constellé notre enfance, je crois que ce serait bien.

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Cela vous est arrivé de voir des assiettes dignes d’un travail d’architecte ?

Oui, au niveau des saveurs. Il y a des plats qui se construisent comme les architectures. Différents mélanges s’opèrent, et confèrent au plat une forme de structuration. La structuration, c’est comme l’architecture.

Aimeriez-vous diriger un restaurant ?

Pour savoir bien faire les choses, il faut être un vrai professionnel. Je crois qu’il faut se méfier. Il y a beaucoup de cuisiniers du dimanche, de cuisiniers du soir, en famille. Cela n’a rien à voir avec le métier de chef.

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Vous auriez sans doute des idées pour la structure des assiettes…

Oui. Mais je ne suis pas très attaché au décorum. Cela se fait beaucoup, depuis une trentaine d’années, de soigner la décoration. Je ne suis pas contre, mais il ne faut pas que cela prenne le pas sur l’essentiel. L’émotion esthétique doit accompagner le plus important : l’émotion culinaire. Il faut que cela soit vraiment en rapport avec le plat. Il ne s’agit pas de mettre des couleurs pour mettre des couleurs, de faire des formes tarabiscotées avec des chevelures de caramel… Parfois, cela gâche même le plaisir !

Si on vous demandait de créer le restaurant idéal de Montpellier, à quoi ressemblerait-il ?

Si j’avais un restaurant idéal à faire, ce serait un travail à mener avec le chef. Connaître sa vision, son style, ses attentes. Le lieu est élément fondamental. Par exemple, la cuisine de Charles est assez juste par rapport à son lieu. Quand on mange sur la terrasse de la Réserve Rimbaud, on se sent en harmonie avec l’atmosphère, le Lez qui s’étale et s’enfuit dans le lointain. J’aime moyennement les lieux un peu trop impersonnels. Vous savez, on ne va pas toujours au restaurant dans un même état d’esprit. Si vous y allez pour accompagner une femme à qui vous voulez faire plaisir, vous aurez besoin d’un peu plus d’intimité. Si vous voulez parler de choses d’ordre professionnel, peut-être que vous allez avoir envie d’espace. L’architecture, c’est toujours une interaction très forte et sensible avec le commanditaire. Que ce soit pour faire une maison, ou un restaurant.

Le Jardin des Sens a fermé pour se réinventer, place de la Canourgue. Quels conseils d’architecte donneriez-vous aux frères Pourcel ?

Suivre leurs émotions. Ils ont suffisamment de pertinence, ils ne se tromperont pas. On est tous impatients de voir Jacques et Laurent retrouver une grande sérénité, pour que leur talent s’exprime à nouveau dans sa plénitude. Le lieu, déjà, va fabriquer beaucoup de choses. Il est là, avec cette sédimentation du temps, chargé d’histoire pour les Montpelliérains. Je n’en ferais pas un lieu ultra contemporain. Je garderais les traces du passé. Tout en y ajoutant des touches de modernité.

Un restaurant ultra moderne, comme Le Mia, au coeur du RBC Design Center, cela vous plaît aussi ?

Je suis plutôt content d’y être. Peut-être justement parce qu’on sent ce qui est derrière. Être dans un lieu où il se passe autre chose que de la pure restauration, c’est intéressant. On voit la bibliothèque en bas, cela permet de rêver aux livres. Tout cela est assez proche : plaisir du livre, gastronomie et architecture font bon ménage. L’aspect ultra contemporain, minimaliste, ne me dérange pas. Tout est question d’adéquation.

Vous cuisinez à la maison ?

Je suis un cuisinier assidu, quand je l’ai décidé. Et fainéant le reste du temps ! Je vais passer peut-être quinze jours à m’alimenter, sans vraiment faire la cuisine. Et puis, de temps en temps, souvent sur l’inspiration d’un ingrédient, j’ai envie de tenter des choses.

Si l’on s’invite chez vous, que peut-on trouver au menu ?

Par exemple, un turbot aux palourdes sur un lit de salicorne, cuit à l’étouffée…

Quand même ! On est loin du plat de pâtes !FFontes_Guilhem

Cela reste relativement simple, car ce sont des produits de qualité que je trouve directement chez moi, en Camargue. Quand je fais la cuisine, je m’y mets sérieusement. Cela a toujours été une espèce de passion familiale. Mon frère, le père de Charles, adore également faire la cuisine. Notre père aussi.

Pour conclure, les chefs tenaient absolument à vous demander quelque chose : vous arrive-t-il de vous séparer de votre fameuse écharpe, ou la gardez-vous, même pendant les barbecues ?

(Rires) La preuve, c’est que souvent, l’écharpe a des trous ! Depuis tout petit, j’en ai toujours. C’est peut-être une sorte de doudou…

TEXTE GWENAËL CADORET

PHOTOS GUILHEM CANAL