Le Mas Neuf Les magiciens du foie gras

0
848

 
Pas besoin d’aller dans le Sud-ouest pour trouver du foie gras de qualité. À Montoulieu, dans le nord de l’Hérault, la famille Chafiol élève des canards gras depuis plus de 30 ans. Leur credo : amour de l’animal, et tradition.
Chez les Chafiol, le téléphone n’arrête pas de sonner. Les semaines avant les fêtes, des centaines de particuliers tiennent absolument à réserver leur foie gras. Peu connu à Montpellier, le producteur est très populaire autour de Ganges. Et compte encore se développer dans les prochaines années.
Ce succès familial trouve sa source dans un choix visionnaire. Alors qu’il commence à exploiter les vignes familiales au début des années 80, Guilhem Chafiol cherche une seconde activité parallèle. Avec sa femme, Geneviève, ils pensent à l’élevage. « On a failli se lancer dans le lapin », sourit-il. Ce sera le canard. Une démarche osée pour l’époque : le produit n’est pas encore populaire comme aujourd’hui. « C’est une viande qui s’est démocratisée très récemment, assure le producteur. Dans les années 80, on n’en trouvait pas dans les supermarchés. » La consommation de canard se limite alors au Sud-ouest. « Et les foies étaient vendus à de grandes maisons, en Région parisienne. »
 

 

DES PIONNIERS

Mais les Chafiol anticipent la mode. « On trouvait que ce produit avait une qualité phénoménale. Comme dans le cochon, tout est bon dans le canard ! » Surtout qu’avec les conserves, les débouchés sont plus larges. Le couple lance donc le Mas Neuf, à Montoulieu. Leur premier parc à canards, ce sera de la paille dans un coin de garage, pour 10 bêtes !
Pendant 10 ans, le Mas Neuf partage un premier laboratoire communal avec des confrères. « On est passé de 10 canards en 1983 à plus de 1400 en 2000 ! On vendait tout sur place. Cela représentait près de 6 tonnes de viande. » Au début des années 2000, le couple crée son propre laboratoire pour l’abattage et la transformation. Et amorce un élevage de poulets plein air. C’est le temps de la professionnalisation.
En 2008, Bérangère et Pauline, deux de leurs cinq filles, rejoignent l’aventure. Le développement s’accélère, notamment la production de poulets, et même quelques chapons pour les fêtes.
 

 

MÉTHODE TRADITIONNELLE

Huit ans plus tard, le Mas Neuf est florissant. 2600 canards, 6000 poulets et 250 chapons sont élevés par an. L’abattoir a été agrandi en 2014. Et Bérangère et Pauline préparent un projet augmentant l’activité de 50% ! « Cela restera peu à l’échelle de la profession, nuance le père. Ici, on fait tout : on élève, on gave, on transforme et on vend. Notre objectif est de garantir avant tout la qualité. » Une qualité qui s’explique avant tout par la race des canards : des mâles de Barbarie. « C’est plus exigeant pour l’éleveur, mais la viande est bien meilleure. » Et pour garantir un produit haut de gamme, la famille défend sa « méthode traditionnelle, plus respectueuse de l’animal ». Ici, pas de gavage automatique, pas de canard enfermé dans des cages. Les animaux grandissent en parc collectif, sortent régulièrement à l’air libre. Bérangère Chafiol estime que c’est indispensable pour leur bien-être. « On croit aux vertus du plein air. Un canard élevé dehors, qui est libre de manger de l’herbe, se sentira mieux. Il a besoin de battre des ailes, de se lisser les plumes… »
La méthode traditionnelle repose aussi sur « un gavage au maïs entier, originaire essentiellement de Camargue, garanti sans O.G.M. ». Et sur une approche « personnalisée ». « On travaille en parc collectif, mais on gave les bêtes, et on leur masse le jabot (cou) une par une. Chacune a la dose qui lui correspond. » Rien à voir avec les élevages industriels, où de trop jeunes canards sont gavés avec une dose standard de bouillie. « Chaque canard est différent, promet Bérangère. Ce n’est pas à l’animal de s’adapter à nous ! »
Autre clé de la qualité : « une question d’âge ». À Montoulieu, « on attend deux semaines de plus que les I.G.P. pour commencer à gaver. Cela améliore le goût de la viande. C’est souvent à la fin que les saveurs s’affirment. » Bérangère confirme : « grâce à cela, le foie gras est bien meilleur. Le magret est plus gros, les saveurs plus intenses, plus musquées. »
 

 

RESPECT DE L’ANIMAL

Or, malgré tout, le sujet du gavage reste sensible. La famille en est consciente, et reconnaît que l’élevage industriel a détérioré l’image de la profession. « Les cages individuelles, le gavage automatique, c’est choquant, juge Bérangère. Mais notre méthode n’a rien à voir. Les gens se font un préjugé sur le ressenti de la bête. » Après avoir grandi auprès des canards, elle a acquis une certitude : « le gavage n’est pas un stress pour l’animal. On utilise la capacité physiologique des bêtes adultes à stocker le maïs. Notre métier n’est pas de les faire souffrir ! » D’autant que Pauline rappelle que « le foie est une vraie éponge. Si le canard souffre, la viande devient très dure, le produit ne sera pas bon. On voit beaucoup d’images qui circulent, cela fait peur. Mais cela ne correspond plus à la réalité. » Guilhem Chafiol l’assure : son foie gras est bon sous toutes les formes. « Au torchon, sous vide, il conserve ses arômes. Mais il est bon aussi en escalope. Et juste deux bouts de foie gras, ça améliore les pâtes ! »
Sur place, une boutique permet d’acheter les foies, mais aussi magrets frais et séchés, cuisses, confits… Le plus étonnant, c’est que si le produit est haut de gamme, la clientèle est presque exclusivement composée de particuliers. Un choix assumé. « C’est une clientèle très intéressante. On échange, on rencontre beaucoup de monde. Et on n’arrive déjà pas à satisfaire la demande ! » En décembre, il est déjà trop tard pour un foie gras entier. Par contre, on peut encore espérer un mi-cuit ou une terrine. Les Chafiol, eux, devraient compter plusieurs recrues bientôt. « Sur nos cinq filles, deux sont sur l’exploitation. Elles seront bientôt trois, et peut-être quatre. On fait un métier épanouissant, en travaillant un produit du début à la fin. En fait, on est heureux. » La vie est belle à Montoulieu.
 
GWENAËL CADORET
 
Chemin de la maison neuve – Montoulieu
Vente sur place et dans les boutiques paysannes de Ganges et Clapiers
Infos : 04 67 73 30 75 – elevage-masneuf.com