Alexandre Mazzia

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Marseille prend le temps d’éclore

Tout le monde parle de lui à Marseille. Alexandre Mazzia incarne une nouvelle génération de chefs qui bouscule la cuisine phocéenne. AM, son restaurant de poche étoilé, est complet plusieurs mois à l’avance. Et pour lui, Marseille et Montpellier ne sont pas si différentes, côté cuisine.
 
Qui dit Marseille, dit bouillabaisse ! Alexandre Mazzia, quel est le secret de ce plat mythique ?
C’est simple : il faut choisir les meilleurs poissons, pêchés le jour même, et y mettre tout son cœur. Mais il n’y a pas une recette. Il y a autant de bouillabaisses que de Marseillais !
 
La cuisine marseillaise semble pétrie de traditions…
Bien sûr, les restaurateurs s’inspirent des références culturelles de la ville. La tradition principale, c’est le poisson, avec le port de pêche. Mais on trouve également des influences provençales, avec le Pesto, les petits farcis. C’est un véritable arbre généalogique, qui permet d’avoir de la profondeur dans nos inspirations. Mais pour autant, il y a de nouvelles manières de travailler les produits. La cuisine évolue.
 
C’est quoi, la nouvelle cuisine marseillaise ?
Il faut savoir vivre avec son temps. Sentir l’évolution de la démarche des gourmands et des gourmets. La forme des repas change, les critères évoluent. Des pionniers, comme Gérald Passédat, ont montré la voie. Il est Locavore depuis longtemps. Travailler des produits de proximité, trouver des producteurs locaux, ce n’est pas nouveau : c’est normal ! Faire confiance à des maraîchers en permaculture, qui respectent l’environnement, c’est logique. En cuisine, on se doit d’être acteur du lien social et économique du territoire. Si on ne se bat pas pour défendre le travail de nos maraîchers, qui le fera ?
 
Votre restaurant AM, une étoile au guide Michelin, ne désemplit pas. Quel est votre style ?
On cherche à mettre en valeur des produits locaux, souvent oubliés. Des choses exceptionnelles à 20 kilomètres à la ronde : la goyave-fraise de Bandol, la main de Bouddha, le pois de senteur… Le tomatillo, aux allures d’aubergine, avec un goût de melon et tomate. Et toutes ces herbes aromatiques, qui sont de véritables pièces d’orfèvrerie… En les utilisant dans l’assaisonnement, on ouvre des portes nouvelles. On évite la cuisine d’assemblage, en créant du lien avec des traits légers.
 
A l’image de sa cuisine, Marseille semble en pleine révolution…
Les choses n’ont pas changé tout à coup. C’est simplement que la lumière est plus présente sur la ville. Je pense que Marseille sera Barcelone, dans 10 ans. Une ville balnéaire, vivante et lumineuse. Il y avait pas mal de stéréotypes sur Marseille. Mais on a une vraie qualité de vie. Les chefs qui s’installent sont heureux de cette ambiance saine et sereine. Cette ferveur d’une ville qui grandit à son rythme. Marseille ne se transforme pas trop vite. Elle prend le temps d’éclore.
 
A l’image de votre restaurant, beaucoup de petits lieux dynamisent la ville. Être petit, c’est la nouvelle tendance ?
C’est avant tout un choix humain. Je voulais une vraie relation avec les gens, les clients. Ici, il n’y a pas de rupture entre la cuisine et la salle. Le dressage s’effectue devant les clients. Personne ne doit partir sans avoir serré la main du chef et des salariés. Le gourmand, le gourmet, on l’accompagne dans notre histoire. Peu de couverts, cela permet également le plus de précision possible. On contrôle mieux les choses. Il n’y a rien qui traîne dans le frigo. Le produit est amené par le producteur, traité puis servi dans la journée. C’est pour cela qu’on est 15, pour 24 couverts !
 
On compare souvent Montpellier et Marseille. Pourquoi selon vous Montpellier a si peu d’étoilés ?
Ce sont deux villes méditerranéennes dont la cuisine se ressemble un peu, parfois. A Montpellier, la qualité n’a pas changé. Mais la demande a peut-être un peu évolué. C’est sans doute aussi une question de visibilité médiatique. Les étoiles, c’est un peu du marketing. Montpellier, on en parle, mais moins que Marseille actuellement. Pour autant, je suis un grand fan de Jacques et Laurent Pourcel. J’adore leur cuisine. Ils ont contribué à ce que l’on peut réaliser aujourd’hui. Sur Montpellier, beaucoup de nouveaux chefs s’installent. Les choses vont bouger.
 
Si vous deviez créer un restaurant à Montpellier, quel serait votre concept ?
Je pense que je créerais un bar à poissons ! Un lieu qui proposerait des tapas autour des produits de la mer. A tort, le poisson a parfois une mauvaise image commerciale. Mais près de Montpellier, il y a pas mal de petits ports, de petits pêcheurs. Je pense que cela vaudrait la peine de reconnecter Montpellier avec sa mer.
 
PROPOS RECUEILLIS PAR GWENAËL CADORET
Photo : Benjamin Bechet