Domaine Viticole : Domaine Sauzet avec Philippe Combet

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Dans la haute vallée de l’Hérault, au pied des Cévennes, le Domaine de Sauzet cultive l’art du vin comme une partition de précision et de patience. Ici les maturités se font attendre, les nuits fraîches prolongent les équilibres, et chaque cuvée, du rouge de garde au vin orange lumineux, porte la trace d’un climat singulier et d’un engagement sans concession pour le bio et le respect du vivant.

L’histoire d’une intuition

Quand François Massol découvre Sauzet en 1995, ce n’est qu’une ruine envahie de ronces et de silence. Les toitures sont percées, les chais éventrés, les vignes arrachées depuis vingt ans. On le dit fou, lui parle de mirage, mais il s’entête : « planter mon palmier quelque part », dit-il, et ce sera ici, à trente minutes de Montpellier. Les premiers vins, il les bricole dans les anciennes écuries, ce qu’il appelle avec humour ses “vins d’écurie”. Puis vient le chai enterré, la cave voûtée, les cuves gravitaires… pierre après pierre, cep après cep, il redonne vie à une propriété citée dès le XIVe siècle. Non pas une renaissance mais une obstination : croire qu’un grand terroir ne meurt jamais.

La vallée et son souffle frais

La vigne prend racine dans une vallée que les Cévennes caressent de leur souffle froid. Les bourgeons se réveillent tard, les vendanges s’étirent jusqu’aux premiers frissons d’octobre, les journées brûlent mais les nuits tombent fraîches, creusant cette amplitude qui donne aux raisins leur tension. Sous les pieds, la faille géologique déroule son patchwork de calcaires, d’argiles, de galets roulés et de marnes rouges. Trois rangs, trois sols, trois lectures d’un même millésime, et cette complexité que l’on retrouve dans la précision des jus.

Un travail d’orfèvre

La viticulture est bio par évidence, sans effets de manche mais avec une exigence quotidienne. Les sols sont labourés, les rendements contenus par l’ébourgeonnage et la vendange en vert, les grappes cueillies à la main, déposées en cagettes comme des fruits précieux. En cave, le mouvement est gravitaire, les baies tombent doucement dans les cuves, la fermentation se fait sous contrôle attentif, parfois avec les levures indigènes, parfois avec un soutien discret. Les extractions sont mesurées, toujours au service du fruit, les blancs sont pressés directement puis bâtonnés, les rosés vinifiés par saignée ou pressurage, et les rouges, selon le cépage et la parcelle, connaissent pigeages ou remontages pour ciseler leur profil. Les sulfites sont utilisés avec parcimonie, parfois pas du tout, ce qui donne naissance à des cuvées naturelles comme Madame M. ou Jeanne & André, syrah sans artifice à l’élégance sobre.

La palette des vins

Le spectre est large et cohérent, des rouges légers à boire frais, que François Massol appelle ses «bouche- frigo», aux grandes cuvées de garde qui patientent en barrique avant de livrer leur complexité. Les blancs jouent la carte de la tension et de la salinité, parfaits compagnons des tables iodées, les rosés brillent par leur netteté, le mousseux rosé Le Chant des Bulles s’offre en ouverture sur des fritures légères, et le vin orange impose sa personnalité solaire, avec ses amers nobles et sa mâche subtile qui séduisent autant sur un plat de légumes rôtis que sur une volaille aux épices douces. Ici, le vin orange n’est pas un effet de mode mais un retour à l’origine : un blanc vinifié comme un rouge, fermenté avec ses peaux, à la manière des amphores géorgiennes. Un vin de tanins et de texture, que Nicolas Moine revendique comme une évidence.

Yin Yang et parcellaire

La gamme Yin Yang, née en 2010, incarne à elle seule la philosophie de Sauzet : trouver l’équilibre entre vins immédiats, glou-glou et fruités, et vins plus profonds, boisés et structurés. Déclinée en rouge, blanc, rosé et désormais orange, elle est devenue la colonne vertébrale du domaine, plébiscitée par les clients comme par les tables, souvent surprise à l’aveugle par son éclat. À côté, le domaine a choisi de baptiser certaines cuvées du nom des vieilles parcelles recensées au cadastre : Champ de la Tour, Champ aux Fruits, Champ de la Croix, Champ des Cailloux, Champ des Oliviers… Un ancrage toponymique qui inscrit chaque vin dans l’histoire du lieu, comme une manière de donner voix à la mémoire des terroirs.

Reconnaissance et ambition

Si les premières années furent celles de l’IGP Pays d’Oc, avec la liberté des assemblages, le domaine a désormais des parcelles classées en Terrasses du Larzac, une reconnaissance attendue par la sommellerie et les marchés d’export. HIC ET NUNC — littéralement “ici et maintenant” — est la micro- cuvée philosophique du domaine. Née d’une ou deux barriques jugées exceptionnelles, elle peut changer de profil chaque année, ou ne pas exister si le niveau n’est pas atteint. C’est le vin de l’instant, rare et éphémère, qui a pourtant valu au domaine une médaille platine et 97 points au Decanter. “À l’aveugle, HICETNUNC n’a rien à envier aux icônes” insiste le chef Philippe Combet de L’Accent du Soleil, preuve que la hiérarchie des étiquettes s’efface dès lors que le vin tient sa place dans l’accord. Les concours sont, pour François Massol, autant des repères que des tremplins : le blanc Champ des Cailloux, auréolé d’une médaille d’or à Lyon et retenu dans la collection ambassadeur du Languedoc, en est un exemple. Ces distinctions permettent de situer le domaine sur la carte, et de mesurer la résonance de ses vins au-delà de la vallée.

La voix de l’œnologue

Arrivé à 26 ans, œnologue formé en Californie, Nicolas Moine veille aujourd’hui à chaque détail du chai. À ses côtés, les cuves en pierre centenaires dialoguent avec l’inox des vinifications modernes, et les barriques de Tronçais apportent leur bois subtil. Ici, tout est affaire de minutie, de régularité et de recherche d’équilibre. Comme il aime à le dire : “C’est la somme des petits détails qui fait la différence.”

Une conscience du temps long

Patience, humilité, abnégation, ce sont les mots qui reviennent. Le gel de 2021 n’a laissé que 6 % d’un millésime, le mildiou rôde désormais dans des printemps tropicaux, mais l’attente reste la règle d’or. « On garde nos grappes sur pied, sachez attendre » confie François. Dans ce métier où tout se compte en années, parfois en décennies, les choix doivent être précis, mais aussi portés par la confiance dans le temps long.

Une démarche durable

Dès 2006, le domaine a installé des panneaux solaires, récupéré les eaux de pluie, limité son empreinte. Avec Oc’Consigne, il fut parmi les premiers à standardiser ses bouteilles pour les laver et les réutiliser. Une évidence écologique et énergétique, puisque réemployer une bouteille économise près de 75 % de CO2 par rapport à une neuve. Les clients suivent, déposant leurs paniers de verre vides comme un rituel.

Une vigne à cœur

Et puis il y a le projet le plus singulier, celui qui dit tout à la fois de l’engagement et de la poésie du lieu : la vigne-cœur. Sur une ancienne piste de parapente, au pied du Castellas de Montoulieu, François a planté à la main une parcelle vertigineuse (40 % de pente), choisissant des plants de Voltis naturellement résistants. Pas de palissage ni de métal, mais une plantation en gobelet, à l’ancienne, protégée au départ par des feutres biodégradables pour laisser le temps aux racines de s’ancrer. Vue d’en bas, la vigne dessine un immense cœur végétal, hommage à Dionysos et clin d’œil à l’origine antique

Rare, précieuse, subtile, cette vigne-cœur changera de couleur au fil des saisons et donnera un jour son premier vin. En attendant, François invite à la découvrir le temps d’une parenthèse enchantée, comme une déclaration d’amour au vin et à ceux qui le partagent.

2049, route de Montoulieu –
34190 Saint-Bauzille-de-Putois
Tél. : 06 29 35 23 66
WWW.DOMAINE-DE-SAUZET.FR