Maire de Baillargues depuis 2001, il parle de sa commune comme de sa table : avec gourmandise et franchise. Entre attachement aux traditions, amour des “petits produits» et défense du terroir, il convoque la mémoire, beignets de cervelle oubliés, poule au pot bien faite et son goût pour les bulles, plutôt Pinot meunier ou noir, qu’il préfère carafées. Vingt-quatre ans de mandat plus tard, il en appelle à la transmission, aux mobilités et à un équilibre lucide entre modernité et héritage.
Chefs d’Oc : Qu’est-ce que la gastronomie représente pour vous ?
Jean-Luc Meissonnier : Quelque chose de très important. Grâce à des chefs comme Charles et d’autres, on peut sublimer des produits, à condition qu’ils soient bons à la base. La gastronomie parle à tout le monde, mais quand on entre dans le détail, elle réveille une nostalgie : celle de nos grands- mères. Je pense par exemple à la poule au pot de mon enfance. Mal préparée, elle est insipide ; bien réalisée, quand la poule a bien mangé, on retrouve des petites saveurs, une vraie finesse.
Vos premiers souvenirs de table ?
La poule au pot, vous l’aurez compris. Et puis les beignets de cervelle, les petits artichauts grillés, les tripes, la langue de bœuf… Pour retrouver ces goûts simples aujourd’hui, il faut parfois aller là où ils sont respectés et “revisités” au bon sens du terme : Aubrac, Lozère, etc. Les chefs ne se contentent pas de revisiter : ils font éclater les saveurs, et la présentation compte. L’assiette doit éveiller les papilles et donner envie de reconnaître chaque produit.

Votre plus grand souvenir gastronomique ? Chez Bocuse, à Lyon. C’était unique, presque cérémonial. Rien que d’en parler, j’ai encore la chair de poule. C’était magique et bouleversant, trop fort pour y retourner. Cela reste comme une expérience gravée à vie. J’ai un très bon souvenir de Cyril Attrazic. C’est un homme extraordinaire, proche des personnes, et l’on y mange très bien. La régularité est ce qu’il y a de plus difficile.
Est-ce que vous cuisinez, chez vous ?
Un peu. J’aime faire de petites décorations. Par exemple, pour une tomate mozzarella, il faut que ce soit symétrique, que rien ne dépasse. Ça donne faim avant même de manger. L’assiette éveille les papilles d’abord par l’œil. Cela compte pour que les saveurs éclatent et que chaque produit soit reconnu.

Si Baillargues était un plat ?
Un plat humble, qui ne cherche pas les projecteurs. J’ai un potager non traité – tomates, courgettes, aubergines – et j’avoue j’ai une passion simple : tomates buffala basilic avec une très bonne huile d’olive. J’élève des agneaux et vous savez, l’essentiel c’est le goût, mais à découvrir, pas asséné.
Le vin et le champagne occupent une grande place chez vous.
D’où cette culture vient-elle ?
En famille, il y avait toujours du champagne, très frais… Trop pour moi. Je n’aimais pas. Plus tard, quand j’ai tenu un café-PMU et une pizzeria à Baillargues, j’ai découvert des champagnes plus chargés en Pinot noir et je les ai appréciés carafés. Avec un ami, on a monté l’association CCC : Champagne, Carafé, Chambré. L’idée : partager entre amis l’idée que certains champagnes, surtout en Pinot meunier ou Pinot noir, sont d’abord des vins. J’aime les vignerons de terroir : il existe une pureté dans leurs champagnes. Je ne cherche pas l’étiquette : j’aime la finesse et le travail dans les règles de l’art.



Vous insistez sur le “travail” derrière la bouteille…
Oui. Les vignerons qui font du bio travaillent sept à dix fois plus : petits traitements, adaptation permanente. Je suis éleveur, j’ai une manade avec des taureaux, des moutons, j’ai un rapport direct à la terre. Se lever à 6 heures, cela change le regard sur les métiers.
Qu’est-ce qui vous réconforte après une journée difficile ?
Le sucre ! C’est ma faiblesse. Je peux finir une boîte entière de Mars glacés ! C’est presque une drogue. Je termine toujours un repas sur une note sucrée, sauf lorsque j’essaie de me maintenir en forme ; à 66 ans, il faut courir un peu et faire attention.
Avez-vous chassé par le passé ?
Oui, mais ce que j’aimais surtout, c’était la complicité avec le chien. Le bruit du fusil me gênait, je tirais peu. J’ai fini par arrêter. Aujourd’hui, je pêche. Cela m’apporte un équilibre. Je prends le bateau et je vais au large. La mer a quelque chose de mystique : elle recharge. Les couchers de soleil en septembre sont magnifiques. On ne peut pas se sentir mal avec ce spectacle devant soi.
Et l’identité culinaire du territoire montpelliérain ?
Montpellier n’a pas une spécialité unique, mais un brassage : Sète, Camargue, garrigue… C’est sa force si on la raconte bien, sans vernis.



Que pensez-vous de l’association des Chefs d’Oc ?
Ils ne sont pas assez aidés. Notre économie locale, ce sont aussi le tourisme et la table : on devrait bâtir des parcours clés en main (séjours autour des chefs, nuitées sur place, producteurs, vignerons). Certaines conciergeries le font pour le très haut de gamme ; il faut démocratiser ces expériences et leur donner de la visibilité régionale.
Vous organisez des évènements autour de la gastronomie…
Des concours conviviaux autour de la paella par exemple, qui racontent le métissage local. Je suis attaché aux traditions de toutes les communautés quand elles s’inscrivent dans le respect et le partage.
Vous avez tenu un café pizzeria, vous êtes Maire, vous avez une manade…
Votre parcours en quelques jalons ?
À 16 ans, je charriais des caisses de pommes dans les vergers. Armée. Petits boulots. Puis je suis entré chez IBM et y suis resté neuf ans. À côté, je “rasetais”. J’ai arrêté à 27 ans : congé sans solde, tour du monde. Norvège jusqu’au Cap Nord, pêche au large du Groenland, conserverie à Honningsvåg, puis Stockholm, Copenhague. J’ai travaillé dans des restaurants, à la plonge, comme commis. Puis je suis parti au Japon… À mon retour, j’ai racheté le bar du village à Baillargues, puis ouvert un restaurant au feu de bois. Ça a vite marché. J’ai eu alors envie de m’investir plus pour mon village de cœur, je me suis présenté aux élections municipales. Nous avons été élus et pour éviter les conflits d’intérêts, et me rendre disponible pour le travail de Maire, j’ai mis un gérant en place puis vendu.
Vingt-quatre ans plus tard, qu’est-ce que l’exercice du mandat a changé en vous ?
La résilience. On a des responsabilités sans toujours avoir les moyens. On a recentralisé au lieu de décentraliser. Monter un projet prenait quatre ans ; aujourd’hui, sept ou huit. C’est frustrant, mais il faut avancer.
Vos fiertés concrètes ?
Les TER à Baillargues : 80 trains, huit minutes du cœur de Montpellier ; cela peut économiser une voiture par foyer. Et puis le parc Gérard Bruyère, qui va créer une vraie dynamique. J’y ajoute le skatepark, le CFAI (600 apprentis/an), les Compagnons du Devoir, l’école bilingue…
Comment mariez-vous modernité et traditions ?
Par le sport et la culture. La course camarguaise, c’est un sport extrême rattaché à Jeunesse et Sports ; je veux qu’elle soit reconnue comme telle. Et côté culture, j’aime les fresques en cœur de ville : plus de quinze aujourd’hui, entre mémoire locale et street art. Tous les styles ont leur place ; je me méfie seulement d’un certain art contemporain qui éloigne le public.
Allez-vous rempiler ?
Un dernier CDD pour livrer le parc et clore les grands dossiers : oui, si les habitants le veulent. C’est chronophage mais je veux aller au bout.
Vingt-quatre ans, c’est long.
Qu’avez-vous vu changer, et comment voyez-vous l’avenir ?
On sent l’agressivité monter partout, même au quotidien. Les gens n’ont plus peur de rien, pas même de la police. Les gendarmes eux-mêmes manquent de moyens… C’est compliqué, on est passés d’une solidarité à une défiance générale.
Pensez-vous que cela vient aussi d’une perte de sens civique ?
Oui. Les jeunes ne sont plus trop attachés à la notion de citoyenneté. Ils préfèrent souvent vivre au jour le jour, sans se projeter. J’ai vu des jeunes très bien, heureux d’avoir décroché un CDI à la mairie, puis partir du jour au lendemain pour voyager, prendre une année sabbatique. C’est un autre rapport au travail et à l’avenir. Moi, j’ai grandi autrement, avec une notion de projection, d’ancrage. Aujourd’hui, beaucoup ne se voient plus sur le long terme.
Vous parlez souvent du Maroc…
C’est un vrai coup de cœur. Je m’y rends régulièrement, d’abord pour le kitesurf puis pour des actions solidaires : matériel, fournitures, aide à des structures éducatives. J’aime des villes comme Taroudant : vivantes, authentiques.














