À Montpellier, Le Festin du Roi porte bien son nom. À sa tête, Franck Meniere : un homme qui ne se contente pas de découper des viandes, mais des trajectoires. Aux Halles Castellane, il tient la boucherie avec Alban Soubirou et Romain Vigourt, et le traiteur avec Guillaume Despont, chef exécutif et associé. Aux Arceaux, rue du Carré du Roi, il a le restaurant. Une maison, trois visages, une obsession : tenir la filière, de la carcasse à l’assiette.
Lyon pour la naissance, Mèze pour l’enfance. Ses parents y élèvent des veaux, avant que l’exploitation ne disparaisse, étranglée par les marges et les règles. L’enfant observe, songeur : d’un côté, les éleveurs payés une misère ; de l’autre, la boucherie qui revend cher. “Dans mes yeux d’enfant, je me disais : mais le boucher doit être riche…” Cette scène le marquera. Pourtant, sa première vie prend une autre route : passionné de voile et de matériaux composites, il devient mouliste, travaille dans l’orthopédie, conçoit des prothèses. Mais l’usine et les normes l’étouffent. À vingt-cinq ans, jeune père, il démissionne. La bascule est radicale : il s’inscrit à un CAP boucher pour adultes, convaincu d’avoir enfin trouvé sa voie.
Chez un boucher de quartier, il découvre l’univers qui l’intrigue depuis l’enfance. Il se forme dans différentes maisons. “Je voulais apprendre chez les meilleurs.” Il comprend que la boucherie est une école de patience : la fatigue se paie en savoir-faire. Et puis il entre en grande distribution. Une école qu’il ne renie pas : gestion, ratios, management d’équipes. Il négocie ses salaires au résultat. “J’ai multiplié le chiffre par cinq et les marges par quatre”, se souvient-il. Mais il refuse les compromis : les viandes reconditionnées, marinées à l’excès, il les jette à la poubelle. L’éthique devient économie : ce que l’on sauve un jour finit toujours par coûter demain. Vient le temps de s’installer. À la Pompignane, il ouvre sa propre boucherie. Sept ans de travail acharné, qui font exploser sa réputation. Puis l’instinct : sentir le quartier se paupériser, vendre avant la chute. “J’ai eu raison, aujourd’hui c’est une catastrophe”, dit-il sans amertume. Il apprend alors qu’un commerçant n’est pas seulement un technicien, mais aussi un lecteur de ville. Il croit au projet des Halles Laissac : acheter sa viande et la cuire sur place. Mais le concept échoue. Déception, mais pas résignation. Il pivote encore : une boucherie reprise avec Alban Soubirou, bientôt rejoint par Romain Vigourt.



Avec eux, il esquisse une vision plus vaste : laboratoire, traiteur, restaurant. Tenir la filière de bout en bout. Aujourd’hui, Le Festin du Roi réunit une boucherie, un charcutier-traiteur et un restaurant. Le laboratoire de 250 m² en est la clé de voûte : six salariés déjà, bientôt huit avec un boucher et un charcutier supplémentaires. L’ensemble emploie une trentaine de personnes.
La spécificité ? Travailler en carcasses entières. Pas de raccourcis, pas de triche. Sélection stricte des bêtes, engraissement suivi, protocole alimentaire qui garantit muscle, saveur et sérénité. “Le moindre steak que je vends, je sais qu’il est bon.” Il insiste sur la nuance. “On est charcutier-traiteur, pas traiteur.” Pas d’événementiel, mais une présence quotidienne : jambon à l’os tranché minute, terrines, plats mijotés, biscuits, miels, confitures. Et un fétiche : le pâté en croûte, tradition devenue terrain de jeu. Ouvert en avril 2024 aux Arceaux, rue du Carré du Roi, le restaurant est la vitrine de la maison.



Aux côtés de Guillaume Despont, chef exécutif et associé, Franck y déploie son idée fixe : relier l’étal à l’assiette. Dans la petite salle, les plats canailles s’alignent : un jus court qui fume, une côte charnue, un pâté en croûte doré. Ici, pas d’esbroufe : authenticité, partage et exigence règnent, avec la même rigueur que dans le laboratoire et aux Halles.
Si Franck se tient en première ligne de la filière, il s’est trouvé un double en cuisine : Guillaume Despont. À ses côtés, Franck a trouvé plus qu’un partenaire : un allié, un compagnon de route qui comprend instinctivement ce qu’il veut faire. “Il finit mes phrases”, sourit Franck. Deux énergies qui se nourrissent l’une de l’autre, deux façons d’habiter le métier qui se rejoignent dans une même obsession : ne jamais trahir le produit.
C’est cette complicité, presque fraternelle, qui donne désormais au Festin du Roi son rythme singulier. Franck et Guillaume ne travaillent pas côte à côte, ils avancent ensemble, comme si chacun trouvait dans l’autre son contrepoint. Franck se définit par ce qu’il refuse : viande douteuse, compromis faciles, procrastination. Mais aussi par ce qu’il garde : la mémoire d’un enfant qui voyait ses parents vendre à perte, l’exigence d’un artisan qui veut tout maîtriser, la vitesse d’un entrepreneur qui ne laisse pas filer l’occasion. “Je ne suis pas fou au point de penser que l’on monte un restaurant de 150 couverts seul”, dit-il. Son obsession : garder 51%, le cap et la vision.
Pour le reste, il s’entoure, délègue, partage l’énergie. Quinze ans à “fond de balle” : journées sans repas, nuits de trois heures. Mais pas de regrets. Derrière cette vie échevelée, il existe un romantisme discret : croire qu’en tenant la lame juste, on peut encore bâtir une maison qui tienne debout.




















