Producteurs : Les Arches Castriotes, un projet agroforestier pionnier face au défi climatique

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À Castries, Yann Fortunato transforme depuis sept ans une terre appauvrie en modèle d’agriculture plurielle et régénérative, où l’arbre devient acteur de santé, de biodiversité et de résilience.

“Je suis forestier. Mon métier, c’est l’arbre.” En quelques mots, Yann Fortunato pose les fondations de son projet. Loin de l’élan romantique, son geste est militant, méthodique, visionnaire. Depuis sept ans, à Castries, dans l’Hérault, il régénère une terre exsangue, héritée d’une viticulture intensive, pour en faire un démonstrateur vivant de ce que pourrait être l’agriculture de demain : diversifiée, nourricière, respectueuse du vivant. Ce que le fondateur de l’entreprise à mission Racines de France nomme Les Arches Castriotes, c’est un vaste programme d’agroforesterie pensé comme un living lab, un laboratoire vivant de solutions fondées sur la nature.

“Ici, nous ne cherchons pas à faire plus, mais à faire mieux.” Sur cinq hectares agricoles – auxquels s’ajoute une forêt d’un hectare et demi – poussent aujourd’hui 2 400 arbres et arbustes de toutes strates, en agriculture biologique, accompagnés de 36 000 plants de romarin et de lavande, vingt ruches et une diversité impressionnante d’espèces cultivées. Le principe est simple, mais exigeant : associer des espèces complémentaires dans un agencement harmonieux. L’arbre central du projet est l’amandier, choisi pour son caractère endémique, sa capacité d’adaptation au climat méditerranéen et sa vocation nourricière. Plantés de manière extensive, les amandiers laissent entre eux de l’espace pour d’autres cultures : romarins, lavandes, agrumes, vignes de table, grenadiers, figuiers (dont vingt espèces différentes), pacaniers, poivriers du Sichuan, et même quelques pieds de kiwis.

“On veut produire de l’alimentation toute l’année, sans intensification, mais en respectant les saisons”, précise Yann. Le sol, à l’origine “inerte”, a été régénéré sans intrants chimiques, grâce à des enherbements mellifères et un paillage nourrissant. L’idée est de maximiser non pas le rendement, mais les effets positifs sur le sol, l’eau, la biodiversité et l’autonomie alimentaire du territoire. “On fait de la santé ici”, insiste Yann. Ce mot revient comme un leitmotiv. Pas seulement la santé des sols , des plantes ou des pollinisateurs, mais aussi celle des humains. L’arbre, par son évapotranspiration, restaure le cycle de l’eau, capte le CO2, crée des îlots de fraîcheur, produit des fruits riches en nutriments, améliore la qualité de l’air et apaise les esprits. “Il faut réapprendre que l’arbre est à la racine de toutes les solutions”, martèle-t-il.

« Les chefs aussi sèment des
graines : Frédéric Husser
a ouvert la voie, convaincu
que la cuisine peut faire
alliance avec la terre. »

Fort de son expertise internationale (WWF, COP28, CESER Occitanie), il milite pour des modèles systémiques. “Un programme ne peut plus répondre à une seule problématique. Si l’on plante des arbres juste pour le carbone, on oublie la biodiversité, la santé des sols, le lien social. Ici, on répond à tout cela en même temps.” Au-delà de la production, Les Arches Castriotes se veulent aussi un lieu d’éducation. Scolaires, étudiants, décideurs économiques y sont accueillis pour comprendre, expérimenter, échanger. Le projet est reconnu par le rectorat et labellisé programme démonstrateur MedVallée par la métropole de Montpellier, dont il incarne l’ambition : réconcilier santé publique, biodiversité et souveraineté alimentaire.

“Deux mondes se sont trop longtemps tourné le dos : celui des forestiers et celui des agriculteurs. Il faut qu’ils retravaillent ensemble.” C’est ce que montre ce site unique, où se rencontrent nature et culture, arbres et maraîchage, savoir-faire et savoirs partagés. Car Yann Fortunato ne travaille pas seul : il est entouré d’équipes, de scientifiques, d’étudiants… et depuis peu, de chefs. C’est dans cet esprit que Carole Soubeiran, Julien Dubroc, Frédéric Husser, Guillaume Leclère – tous chefs engagés – sont venus visiter le domaine. Une rencontre in situ, pensée comme un acte fondateur. “Le lien entre producteur et cuisinier, c’est plus que commercial, c’est culturel et politique. Ensemble, nous pouvons faire germer des recettes, mais aussi des idées.”

Yann rêve déjà d’événements culinaires sur place, de menus de saison co-construits à partir de ce que la terre offre, de partages d’inspiration entre ceux qui cultivent et ceux qui transforment. Car la diversité culinaire, rappelle-t-il, nourrit la diversité agricole. Standardiser l’un, c’est appauvrir l’autre. L’histoire des Arches Castriotes n’est pas encore achevée. Chaque saison voit apparaître de nouvelles plantations, chaque visite de nouveaux partenariats. Le 25 juin prochain, un grand gala est prévu sur le site, sous l’égide de la Fondation Ceïba, avec la présence attendue de Corinne Lepage, du maire de Montpellier, de chercheurs, d’institutionnels. “Il ne s’agit pas d’un retour à la terre nostalgique, mais d’un projet profondément moderne”, conclut Yann. Face à la désertification annoncée du sud de la France, il oppose des solutions concrètes, locales, basées sur la nature. “Paris ne s’est pas fait en un jour, notre programme non plus. Mais chaque arbre planté est un pas de plus vers un avenir vivable.”